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Jean Moulin, l’ultime mystère

19 février 2016 par Jacques Deruelle

moulin couv

En 1977, une émission des dossiers de l’écran fut consacrée à la résistance française pendant l’occupation. Péremptoire, Henri Frenay l’ancien patron du mouvement Combat accusa Jean Moulin d’avoir été un agent crypto-communiste.  Indigné comme nombre de téléspectateurs, son ancien secrétaire Daniel Cordier demeura pétrifié devant le ton cassant de l’ancien ministre des prisonniers, déportés et rapatriés de 1945: « vous ne saviez rien, vous n’étiez que l’intendance ». Cette accusation gratuite visant le martyr de Caluire,  en dit long sur la violence des conflits qui ont entravé le travail d’unification de la résistance intérieure mené par le représentant du Général de Gaulle. « Il est certain que des résistants ont commis l’abomination d’éliminer des camarades pour arriver les premiers à Paris, et il l’ont fait par les Allemands », avouait le général après la seconde relaxe du principal accusé de la trahison, René Hardy allias Didot, chef du réseau fer à Combat.

Querelle de leadership entre fortes personnalités en apparence, le conflit Moulin-Frenay traduisait en réalité une somme de désaccords idéologiques profonds. Frenay avait cru à la possibilité d’un double jeu de Pétain et détestait les communistes. À Combat, nombre de nationalistes tel Guillain de Bénouville, étaient devenus anti-allemands autant  qu’anti-communistes. Moulin de son côté pour qui Pétain n’était qu’un traître à la patrie voulait établir l’unité d’action des combattants de l’ombre toutes obédiences confondues afin d’asseoir au plus large la légitimité gaullienne exclusive de toute inféodation anglo-saxonne.  Les émissaires de Combat au contraire collectaient des fonds américains en Suisse, devenant ainsi les complices conscients ou non du grand jeu américain, l’installation à Paris d’une gouvernance vassale.  Enfin, Combat entendait occuper un rôle de premier plan à la libération en raison du discrédit jeté sur les partis. Pour De Gaulle, les résistants n’avaient pas vocation ipso facto à incarner le politique. Ils devaient se fondre dans l’armée régulière à mesure de la libération du territoire et poursuivre jusqu’à Berlin la représentativité de la France condition de son futur rétablissement dans le concert des nations alliées. Ce fut le sens de la réponse du Général au jeune François Mitterrand reçu à Alger: Je veux servir mon général! Alors rejoignez l’école des officiers! propos que le futur Président Socialiste interpréta ainsi: il veut m’envoyer à la mort!

moulin portrait

Unique en son genre, la capacité d’analyse stratégique et politique du Général était depuis les discours de  Juin 1940 – des forces immenses n’ont pas encore donné, cette guerre est une guerre mondiale!-  parfaitement visionnaire  et de  lointaine portée. De Gaulle n’était certes pas Communiste, mais il avait en tête de préserver ses chances de limiter l’expansionnisme européen de son allié Staline . L’homme du 18 Juin 1940 -moi Général de Gaulle!- tirait toute sa légitimité de sa supériorité à analyser les enjeux du conflit et à anticiper ses conséquences en tant que défenseur des intérêts futurs d’un pays discrédité. Moulin paya de sa vie aussi sans doute, le succès progressif de la stratégie du premier des Français libres et la marginalisation ressentie d’ambitieux  chefs de l’ombre, sur le terrain politique de la future reconstruction nationale.

Familier d’une des affaires les plus rémanentes de l’occupation, Pierre Péan dessine à travers un nouveau récit, Jean Moulin, l’ultime mystère, co-écrit par Laurent Ducastel, un portrait plus intimiste parfois romancé de l’ancien Préfet révoqué. En 1936, alors qu’il organise l’aide secrète aux Républicains espagnols du Gouvernement de Léon Blum, devenu Directeur de Cabinet de Jean Pierre Cot Ministre de l’Air, Jean Moulin rencontre  au cours d’un dîner parisien une riche artiste peintre proche du fauvisme, d’origine juive, pleine de charme et très courtisée, Antoinette Sachs.

dessin-humoristique-balai-Jean-Moulin

Dessin de Jean Moulin

Celle qui épouse ses goûts pour l’art contemporain et la poésie deviendra une amie fidèle puis une maîtresse. Membre du parti radical socialiste Antoinette partagera ensuite  les  dernières années du combat clandestin de Jean en épaulant le renseignement via Londres.  En 1944, après l’arrestation de Caluire, elle échappe de justesse aux griffes de la Gestapo de Nice et se réfugie en Suisse jusqu’à la libération.

 

moulin et antoinette


 

Pendant l’instruction du premier procès Hardy en 1946, elle multiplie les enquêtes, récolte témoignages et documents pour épingler les responsables de la trahison, se muant en auxiliaire de justice passionnée et efficace grâce à son exceptionnel  entregent et à son imposant carnet d’adresses. Las, le défenseur de René Hardy, Maurice Garçon obtient que les rapports allemands retrouvés à Nice ou à Berlin établissant la qualité d’agent double de Didot mais provenant de l’ennemi soient écartés du procès. Les témoins qui n’ont qu’une preuve visuelle de la trahison de l’accusé sont violemment malmenés et déconsidérés et c’est l’acquittement faute de preuves. Antoinette Sachs obtient du Directeur de la DST Roger Wybot, une relance de l’enquête officielle.  La preuve  de l’arrestation de Didot par les Allemands dans un train Paris Marseille toujours niée sous peine de révéler en lui le mouchard, est exhumée des archives de la SNCF. Hardy signe alors des aveux sur ce point puis se rétracte en Avril 1950 au cours du second procès militaire suivant son tonitruant Conseil parti en croisade contre le quotidien l’humanité qui réclame la tête du traître de Caluire. Nouvelle pratique d’abaissement des témoins rudoyés -Laure Moulin inclue- par un ténor du Barreau sans scrupules. Les sept juges se prononcent à la majorité pour la culpabilité de Hardy qui est libéré pourtant faute de majorité … qualifiée. L’ultime compagne du fédérateur de l’Armée des ombres soupçonnera un temps de complot l’entourage Londonien du Général accusé de n’avoir rien fait pour délivrer son amant des geôles de Barbie son tortionnaire. Accusation légère tant les moyens logistiques et humains manquaient pour libérer qui que ce soit des caves de la Gestapo,  Moulin, Brossolette, Delestraint comme tant d’autres! En 1964, l’entrée au Panthéon des cendres du fondateur du Conseil National de la Résistance,  choisi entre tous pour incarner le symbole de l’héroïsme figure l’hommage réparateur de la nation. 

Discours Hommage d’André Malraux à Jean Moulin le 19 Décembre 1964

De Jean Pierre Azéma à Daniel Cordier, de Pierre Péan à Dan Franck (https://www.carnetdelecture.net/les-champs-de-bataille-de-jean-moulin/), tous les historiens, chercheurs ou romanciers soulignent la responsabilité de cadres de Combat dans l’issue tragique de la réunion de Caluire, par dissimulation d’informations et double jeu. Aussi les décisions de relaxe successives  eurent le goût amer de l’incomplétude. Le dévoilement progressif des archives militaires  révélera peu à peu, dans le futur, d’autres mystères sur la Résistance, tenant aux dissensions mortelles ignorées du grand public au nom de la raison d’État tournée vers la réconciliation nationale puis franco-allemande.  La mémoire de Jean Moulin qui résista aux pires tortures à Lyon et à Paris, sans jamais parler « lui qui savait tout »*, tant son courage était immense,  n’est donc pas prête de s’éteindre.

* De Laure Moulin, sa sœur.

 

 

 

 

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