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  1. URGENCES ET SENTIMENTS

    mai 8, 2018 by Jacques Deruelle

     

    Avec ses parcs nombreux, ses larges avenues recomposées, son passé, Berlin, ville cosmopolite possède un charme à découvrir!  Dans l’attente d’embrasser son patrimoine, sa culture, sa gastronomie  guidé par une jeune et dynamique journaliste de Libération en poste dans la capitale germanique, la lecture du roman de Kristrof Magnusson « Urgences et sentiments » nous a permis de sillonner la cité, d’en mesurer les contrastes aux côtés  d’une équipe d’urgentistes, Anita Cornélius médecin et son ami Maik pompier.

    Jusqu’au-boutiste en intervention dans la sauvegarde des vies humaines, jeune homme incarcéré dans sa voiture accidentée, vieil homme en détresse  respiratoire dans son cabanon, retraité vomissant du sang dans sa baignoire, Anita juge avec sang froid et maîtrise l’art du réconfort. Face aux patients, elle trouve toujours une solution mais son entêtement à régenter la vie de ses proches a mis en échec sa vie de couple. Son ex-mari, médecin dans le même hôpital vit désormais avec Heidi une jeune publicitaire. Partagé entre ces deux foyers son fils Lukas  âgé de quatorze ans s’éloigne de la tutelle maternelle.

    Le roman navigue entre deux expériences, celle très réaliste et documentée des procédures médicales d’urgences, et celle de l’intimité des êtres en proie aux tourments de l’altérité. L’héroïne découvre à la quarantaine qu’il est vain de juger les comportements comme des maladies, les injonctions ne faisant que dresser d’avantage leurs destinataires. On ne déverrouille pas une psyché atteinte d’une dépendance à l’aide d’une simple prescription médicamenteuse! Prompte à vouloir changer les situations qui lui déplaisent, Anita découvre les limites de son intransigeance qui la place en victime des autres dans la pratique de sa vie amoureuse. Pour réussir dans ce domaine, il lui faudra perdre de son obstination confinant parfois à l’intolérance, considérer autrui avec la bienveillance qu’on s’accorde à soi-même pour retrouver l’estime de l’ex mari, du fils ou de l’amant.

     

     

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  2. BAKHITA

    avril 21, 2018 by Jacques Deruelle

    « Femme, mon heure n’est pas venue » répond sèchement Jésus à sa mère venue lui demander assistance car le banquet de Cana manque  de vin. Le fils de Dieu n’est t-il pas sur terre pour épandre la nourriture spirituelle! Conciliant, le Messie satisfera pourtant  aux besoins nutritionnels des convives dans l’espérance d’ atteindre un jour les esprits. Entièrement soumise au système politique  marchand, notre époque manque cruellement de ressources transcendantales et mystiques, un risque majeur pointé à l’époque par le sauveur. Pour éviter que nos âmes ne s’estompent dans une modernité désincarnée et purement matérialiste, c’est en littérature qu’il faut rechercher désormais les prophètes capables de donner vie à des figures exemplaires, des emblèmes revitalisants de notre humanité commune.

    L’ambiance mystique est une source puissante d’inspiration.  Enluminant le mur d’une église française, l’écrivaine Véronique Olmi à découvert  la photo d’une sainte à la peau noire, Madre Gioseffa Bakhita  d’origine soudanaise, morte en 1947, dont elle retrace le saisissant parcours dans un roman bouleversant, Bakhita.

    En 1869 à l’âge de sept ans, Bakhita est kidnappée avec sa petite sœur aux abords de son village, arrachée au bonheur d’une vie pastorale  et familiale comblée d’amour. Des négriers  ont enlevés une centaine de femmes et enfants pour alimenter le marché aux esclaves de Khartoum.  C’est une expédition de trois cent kilomètres à travers la savane et le désert, chaînes aux pieds, sous les coups de fouets. Beaucoup d’entre eux périssent en chemin, malades achevés, blessés abandonnés aux loups, orphelins dont le bourreau fracasse le crâne. Bakhita endure la faim le froid et les coups forte de sa ligne de vie, la main de sa sœur cadette dont elle est brutalement séparée au cours d’un croisement de caravaniers. L’héroïne portera en elle toute sa vie durant la blessure de ces deux arrachements sans jamais perdre la ressource salvatrice de protéger plus fragile que soi en reproduisant l’acquis des gestes apaisants de la tendresse maternelle.

    A Khartoum elle sera achetée à plusieurs reprises comme domestique par des notables musulmans, subira un viol à onze ans, des traitements sadiques en punition d’avoir levé les yeux sur le maître, des bastonnades si la maîtresse superstitieuse a subi un contact lors de son habillage, une séance de torture pour qui veut une esclave décorée de grands tatouages au visage ou sur le corps selon son caprice. Bakhita survivra au calvaire de 114 entailles imprégnées de sel sur tout le corps. Le consul d’Italie la rachète, elle a alors dix sept ans et part en Vénétie pour prendre soin d’un bébé dont elle sauvera la vie en aspirant les mucosités. Là, c’est une langue qu’elle ne comprend pas. Son parlé est un mélange de turc, d’arabe, d’italien sans trace de la langue natale oubliée comme son propre patronyme. Bakhita est son nom d’esclave.

    En 1869, à l’occasion d’un voyage en Afrique du Consul, la jeune domestique est temporairement placée à l’institut des catéchumènes de Venise, un ordre de sœurs canossiennes chargé de l’éducation de jeunes orphelins. Au retour des maîtres, Bakhita commettra son seul acte de rébellion fondateur en refusant de quitter le cloître. Elle a toute sa place auprès d’enfants abandonnés victimes de la grande pauvreté si familière à ses yeux d’esclave! Un procès en droit canon lui rendra justice, elle est affranchie au grand déplaisir de la bourgeoisie italienne qui n’a pas aboli le servage. L’église ne pouvait guère  maintenir en esclavage une ouaille qui offrait sa vie au service de Dieu.

    Car Bakhita a foi en Dieu, ce grand tout qui offre son royaume aux plus démunis et aux cœurs purs et en Jésus le crucifié dont le calvaire pour le salut des hommes fait écho à son propre chemin de croix. Au terme de deux années d’apprentissage, elle entre dans les ordres, fait merveille à la cuisine de l’Institut, puis se dévoue sans relâche à la gestion de la sacristie. Enfin, en charge de l’accueil des visiteurs, elle parviendra à  convaincre  les esprits  les plus hostiles à sa couleur de peau par sa bonté et son abnégation. On publie le récit de sa vie en feuilleton puis en livre au succès immense tant l’Italie se passionne pour cette histoire miraculeuse de conversion d’une « païenne » soustraite à l’esclavage et à « l’ignorance ».

    Sauvée de la « barbarie primitive » par l’action civilisatrice de l’Italie fasciste, son intégration sert les intérêts de Mussolini qui convoite Éthiopie.  Elle est désormais une icône à la démarche claudicante sa mémoire corporelle. Des foules fascinées, que l’église en quête de fonds rassemble la célèbrent, de couvents en lieux de prières à travers le pays. Elle s’éteint à l’âge de soixante dix huit ans et sera déclarée sainte par Jean Paul II.

    D’une écriture saccadée comme les battements d’un cœur ardent en permanent danger, Véronique Olmi dresse le portrait poignant d’une femme charismatique. Enfant martyr puis adolescente persécutée Bakhita courbe l’échine mais jamais la conscience. Elle a reçu dans son foyer un amour immodéré qui lui tient lieu de talisman face aux avanies qu’on lui inflige. Son héritage affectif est devenu sur-conscience, facteur de tolérance et  de compassion. Au couvent elle est parfois diabolisée mais sa simplicité désarme, sa bienveillance emporte l’adhésion des enfants, son dévouement indéfectible  séduit les plus farouches visiteurs. Croix de Jésus protectrice en main, elle échappe au statut de victime, en développant sa noble et patiente générosité. Bakhita  c’est le portrait inspirant d’une femme miséricordieuse, une lumière qui marque le lecteur d’une  empreinte immuable.

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  3. Hiver rouge

    juillet 18, 2016 by Jacques Deruelle

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    Y a t-il un lien entre la doctrine de Jésus et les Croisades, entre le concept marxiste de dictature du prolétariat et le Stalinisme, entre la théorie nietzschéenne du surhomme et le nazisme, entre les leçons coraniques et les vagues d’attentats qui ensanglantent nombre de communautés en ce début de siècle. Non heureusement,  les textes philosophiques ou religieux n’étant jamais réductibles à l’usage qui en est fait par les pouvoirs politiques quels qu’ils soient. Godefroy de Bouillon, comme Lénine ou Hitler n’eurent besoin que d’une rhétorique vulgarisée pour manier les individus et justifier par le verbe la domination sanglante d’un appareil militaire, d’un parti unique, sa bureaucratie, sa nomenklatura. De semblables régimes  dictatoriaux tentent de se maintenir ou de s’implanter aujourd’hui en Syrie, en Irak en reproduisant les mécanismes de diffusion de la terreur au sein même du corps social.  Le trait d’union entre ces différents pouvoirs est de s’extraire du cadre naturel d’exercice de la violence légale, la légitime défense au profit d’une conception amorale du politique qui  pratique l’exaction barbare à grande échelle.

    Comme seul dans Berlin consignait les effroyables mécanismes d’oppression de la société allemande sous régime nazi, Hiver rouge du Britannique Dan Smith reconstitue le climat glacial et sanguinaire de la terreur rouge en Russie sous domination bolchevique qui enveloppe l’errance périlleuse d’un soldat déserteur au cours de l’hiver 1920, à travers l’immense steppe, ses forêts enneigées, ses fermes désertées et ses villages martyrs.

    Soldat de l’armée rouge pendant la première guerre mondiale puis versé dans la Tchéka, l’armée politique bolchevique, Nikolaï Levitski a mis en scène son décès puis déserté en compagnie d’Alek, son frère mort en chemin de ses blessures.  Son unique objectif, regagner le village familial pour enterrer cet aîné idolâtré dans l’adolescence et réhabiliter son humanité perdue auprès de Marianna son épouse et ses deux fils âgés de 12 et 14 ans. Sa foi révolutionnaire s’est définitivement consumée au spectacle des excès de la répression visant les blancs et leur supposés soutiens dans la population puis les verts, ces paysans révoltés, spoliés par d’abusives réquisitions. Mais le hameau de Belem n’est plus qu’un fantôme, les hommes ont été torturés au fer rouge de l’étoile à 5 branches symbole du pouvoir puis exécutés, les femmes noyé ou emmené vers les camps de travail du Nord avec les plus âgés des enfants. Galina une amie de la famille a seule survécu, cruellement blessée à l’orbite, à demi folle, à demi moribonde. Kochtcheï est le responsable du massacre et de la déportation croit-elle se souvenir avant d’aller mourir près des siens au fond du lac gelé. Mais c’est un nom d’emprunt tiré des contes et légendes, un barbe bleu des steppes. Sur son fidèle cheval Kashtan capable de brouter l’herbe sous la neige,  Kolia suit les traces du détachement meurtrier en chasseur expérimenté  traqué lui-même par sept militaires sur ses talons, sitôt son plan éventé. La peur de ne jamais retrouver sa famille vivante s’amplifie alors.

    Dans ce périple glacé au cœur d’une campagne terrifiante sous la brume et ses sortilèges, l’auteur s’attache à dépeindre l’itinéraire d’une conversion; L’homme de devoir finit par désobéir et reconquiert au fil des épreuves son sens de l’altérité et sa bienveillance, déjouant les règles d’un univers de répression, où chacun est une menace pour l’autre, prenant soin dans sa cavale, d’une enfant de 12 ans au risque de sa vie. En point de mire, l’outil parfait de la répression, le tortionnaire sadique accompli, soldat lui aussi mais au profil si éloigné du sien et pourtant si proche! Le tableau des exactions n’est ici qu’esquissé, l’histoire de la terreur rouge sous Lénine avant Staline ne  se dévoile qu’à travers le prisme des destinées individuelles que le hasard confronte, dans l’intimité des postures face au danger. Avec pour seul atout, une puissante monture, l’espérance du héros ne tient  qu’à un fil formant un angoissant suspense aggravé par les incidences extrêmes de l’hiver Russe.

     

     

     

     

     

     

     

     

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  4. No et moi

    mars 4, 2016 by Jacques Deruelle

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    Un campement de Roms sous les piliers des échangeurs routiers, un mendiant au pied d’un bureau de poste, un groupe de SDF  sur un banc public forment des images courantes de la misère urbaine. Dans une société parfaite, elle serait résorbée par le partage des richesses. Nos sociétés injustes affichent leurs devises au fronton des édifices publics mais déconsidèrent les politiques d’assistance. Si la résignation collective domine face à la misère du monde qui semble nous dépasser, la peur et  l’impuissance gouvernent-elles aussi nos réactions individuelles dans le cas isolé  d’une injustice constatée sous nos yeux? Ou serions nous capable de tenter l’aventure de briser le silence, prendre la parole, tendre la main. Le reconstituant roman de Delphine De Vigan, No et moi nous donne en exemple, la pépite d’une adolescente de treize ans au regard différent des autres qui décide de sauver de la rue une jeune femme de six ans son aînée, prénommée Nolwenn.

    Élève précoce avec deux ans d’avance dans une classe de seconde,  Lou Bertignac soumet à son professeur de français « les femmes sans domiciles fixes » comme sujet d’exposé, pour défier à la fois sa propre timidité et la coqueluche de la classe Lucas, un cancre insolent aux dix sept printemps prestigieux. Lou possède l’étrange lucidité des surdoués et la volonté de contrôler l’espace qui est le sien. Elle multiplie en soirée les expériences comparatives sur la composition des produits ménagers, le degré de solubilité du nescafé ou du nesquik, ou s’arrête en gare d’Austerlitz pour contempler les figures obligées des retrouvailles ou des départs. Elle obtient pour son devoir la collaboration de No, une habituée des lieux  aux vêtements troués et sales moyennant quelques bières ou vodkas. À la maison, les liens familiaux deviennent de plus en plus fantomatiques depuis la mort subite d’une sœur nouvelle-née, et la dépression maternelle subséquente devenue un pesant fardeau paternel. Lou s’attache à No et rêve de la sauver d’une vie de déshérence, nouveau défi plus grand encore qu’un exposé scolaire triomphal. Or contre toute attente, sa famille consent à héberger la jeune SDF et l’altruisme qui se développe profite à tous, à la maman de Lou qui retrouve dans la prise en charge d’une invitée inédite, le goût de vivre, au père qui reconquiert peu à peu une épouse et sa stature professionnelle, à la jeune écolière en passe de gagner son insensé pari, à No la convalescente bientôt salariée dans un hôtel. Mais la résilience est un chemin bordé de bas fonds pour les grands blessés de l’existence…

    En termes sincères et touchants Delphine De Vigan dresse le portrait d’un trio qu’un même isolement constitue, celui de Lucas  possesseur d’un appartement cossu mais séparé d’une mère qui a refait sa vie au loin, celui de No abandonnée dès sa naissance par une mère qui la nie, celui de Lou en raison de son acuité particulière à débusquer l’injuste. Mais si certains succombent à la détresse l’un dans l’échec scolaire, l’autre dans l’alcool et la prostitution, la jeune adolescente refuse l’échec et use de son potentiel pour changer la donne. C’est une petite fille encore, mais qui telle le Poucet du conte devient géante osant beaucoup, désapprouver publiquement un professeur qui humilie une élève, conduire ses parents sur la voie de l’altérité, ou pousser Lucas l’aîné dans son aventure extraordinaire. La solitude peut parfois exclure, mais  elle peut aussi nourrir la réflexion et faire tomber des barrières, nous enseigne cet attachant roman d’initiation.

    delphine portrait

     

     

     

     

     

     

     

     

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  5. Jacob, Jacob.

    février 16, 2016 by Jacques Deruelle

    jacob jacob

    Le prénom est ce qui nous désigne en premier et nous singularise dès la classe maternelle. Mais cette imposition parentale possède aussi un sens plus caché, celui qui imprègne le choix. Le nom de baptême a t-il vocation à forger notre identité, à influencer notre destinée selon les sous- entendus de la généalogie familiale incorporés à notre insu?  Alice Zeniter  joue de l’idée que le prénom peut aussi se révéler qualifiant ou disqualifiant dans la relation sociale et légitimer ou handicaper une ambition personnelle.  Chaque premier nom incarne en troisième lieu une histoire voire une mythologie. Dans la Bible, Jacob se confronta à l’ange et fit jeu égal, captant ainsi un peu de sa lumière divine. Dernier né d’une famille juive d’Algérie, le Jacob du roman de Valérie Zenatti se répète souvent son prénom comme un mantra à la fleur de ses dix neuf ans quand en pleine deuxième guerre mondiale son identité est sur la sellette.

    Jacob Jacob relate la vie d’une modeste famille nombreuse de cordonniers entassée dans un appartement de Constantine. Femmes et enfants subissent le joug autoritaire du patriarche  Abraham,  le désamour de son fils l’implacable Haïm marié à Madeleine. la doyenne Rachel, sa belle fille marocaine exilée et ses trois enfants n’ont pour unique rayon de soleil quotidien que l’affectueux soutien du dernier né de Rachel, Jacob. Élève doué, bachelier il cumule le goût des lettres, un talent de chanteur, le sens  de la rêverie poétique sur le pont suspendu de sa ville image de sa hauteur de vue et de son avenir prometteur. Mais l’Armée française en mal de combattants réquisitionne ses ressortissants des colonies. Français des colonies, catholiques, protestants et  juifs et les « non citoyens » arabes sont mobilisés et entraînés pour le débarquement en Provence en 1944. A la manière des soldats d’Indigène plongés du soleil vers la boue, la mitraille, le froid et  la mort, Jacob s’engage vaillamment dans la bataille de France jusqu’aux Ardennes.

    En longues phrases qui moutonnent et s’étirent comme un champ de dunes, dialogues inclus entre deux virgules, qui crépitent aussi au gré des péripéties,  Valérie Zenatti fait renaître avec une tendresse d’appartenance, une histoire familiale tragique commencée dans la blancheur Algérienne et qui s’achève par un exil douloureux à la déclaration d’indépendance.  La guerre fait disparaître les numéros de matricule, fantômes couchés sur les monuments commémoratifs. En mémoire d’une vie singulière au prénom rayonnant, l’écrivaine ressuscite avec passion ces ombres douloureuses et révèle les tribulations  d’une mère courage à la recherche d’un fils angélique que le destin des armes transformera en héros ou en sacrifié.

    jacob auteure

     

     

     

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  6. Juste avant l’Oubli

    janvier 31, 2016 by Jacques Deruelle

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    Les colloques universitaires présentent-ils un intérêt pour la recherche scientifique ou n’offrent-ils aux participants qu’une occasion de villégiature sur fond de réassurance  narcissique et d’entre-soi factice! Enseignante de Facultés, Alice Zeniter ne valorise guère le verbe pompeux de ces spécialistes auto-proclamés dont une brigade modélisée  parcourt son dernier roman, juste avant l’Oubli. L’auteure invente un auteur et son œuvre prétexte à une exégèse, et jongle avec les ingrédients du roman policier.

    Franck, infirmier rejoint sur la côte écossaise Émilie sa compagne depuis  huit années, chargée de l’organisation d’un colloque consacré à un auteur de roman policier, sujet de sa thèse. Devenu ermite sur une île des Hébrides à la suite d’un divorce malheureux le maître adulé a disparu en mer quelques années plus tôt. Suicide ou accident? Parfaitement étranger à ce monde d’intellectuels surfaits, prisonnier d’un lieu fantasmagorique,  Franck lèvera avec l’étrange complicité du gardien solitaire de l’île, le mystère de cet évanouissement littéraire inexpliqué. Tandis que les conférenciers se pavanent sur scène en ergotant sur la prétendue sexualité du célèbre romancier puis jabotent à table ou flirtent discrètement enivrés, la séduisante Émilie se laisse griser et son couple vacille.

    L’atmosphère policière du récit sert d’écran à une réflexion sur les ressorts de la création romanesque et à l’analyse des liens entre les projections intimistes ou imaginatives d’un auteur  et son intériorité. Alice Zeniter  explore aussi les fondements du lien amoureux puis son érosion lente.  Deux solitudes se contemplent et s’accommodent d’un quotidien rassurant ou se révoltent dans le contexte inhabituel d’un manoir fantomatique révélant l’envers du miroir,  l’exaltation et les déboires des aspirations identitaires. 

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  7. La fille sauvage

    janvier 23, 2016 by Jacques Deruelle

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    Avant de nuancer d’un regard plus ethnographique (danse avec les loups), le cinéma américain friand d’épopées  et de mythes fondateurs  a  particulièrement stigmatisé la nature sauvage  des tribus indiennes. Tragique réalité ou surenchère de l’Histoire? Dans sa jeunesse, épris  de  culture amérindienne à la suite de la découverte touristique d’une réserve Cheyenne; Jim Fergus devenu écrivain publiera en 1998, mille femmes blanches, premier roman  visualisant un projet d’intégration des américains d’origine par l’union avec des femmes blanches forcées. La fille sauvage, passionnant récit a pour objet premier le rapt d’une adolescente apache par un chasseur de fauves américain. L’ouvrage nous plonge alors dans les méandres périlleux de la Sierra Madré là où  une  rancheria de bronco  apaches survivants et parias se terre.

    En 1932, une expédition  américano-mexicaine se constitue à Douglas en Arizona pour retrouver un enfant kidnappé par la bande d’un chef indien cruel et défiguré. Un orphelin de dix sept ans Ned Gilles, photographe débutant du quotidien local la rejoint et se lie d’amitié avec une étudiante en anthropologie pleine d’audace, un étudiant bourgeois excentrique et anticonformiste à la féminité brocardée y compris par les siens, son aimable serviteur ancien majordome en exil ainsi que deux éclaireurs apaches sortis d’une réserve, un chaman et son petit fils . En chemin Ned photographie l’adolescente à demi nue emprisonnée après sa capture, une sauvageonne transformée en bête de foire, la Nina Bronca. Celle dont le scalp est rétribué par le gouvernement Mexicain est sauvée de la mort par une astucieuse proposition de Ned, d’échanger la prisonnière moribonde contre l’enfant disparu. D’abord engagée sous le signe du folklore et du défoulement, la  troupe est bientôt confrontée à la violence vengeresse d’une ethnie menacée d’extinction. Drames et gestes héroïques se succèdent  jusqu’à l’imprévisible dénouement, intelligemment consignés dans les carnets du jeune photographe.

    A travers le narrateur à l’esprit aventureux et humaniste, Jim Fergus revisite le tabou d’un des fondements de la civilisation américaine, les conséquences génocidaires de la conquête de l’Ouest. Les assassinats de fermiers isolés, les rapts de femmes ou d’enfants destinés au repeuplement des tribus décimées par l’armée, les pillages commis par les guerriers peaux rouges répondent aux massacres généralisés des  campements par la troupe, aux déportations massives vers les réserves, à l’élimination d’une culture ancestrale à mesure de l’expansion des colons. Le cercle vicieux de la barbarie en raison de la disparité des moyens militaires se conclu par la quasi disparition des tribus amérindiennes, au début du Vingtième siècle. L’auteur redonne sens aux mythes et aux pratiques culturelles d’un peuple morcelé dont les droits bafoués  retrouvent dans l’Amérique d’Obama, une certaine légitimité.

    lafille sauvage

     

     

     

     

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  8. La Brigade du rire

    janvier 11, 2016 by Jacques Deruelle

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    Seule la littérature et le cinéma parfois peuvent donner des inégalités  internes à notre communauté nationale ou externes, facteurs de misère sociale, une représentation fidèle à la réalité que les autres médias dévoileront à minima afin de nourrir les seuls ressorts de l’émotion et de la compassion. Les racines du mal ne seront guère analysées par la télévision et les grands journaux peu portés à la remise en cause radicale du modèle économique dominant. A la manière d’un Ken Loach sur les écrans, des écrivains comme Gérard Mordillat témoignent cependant de la persistance d’un courant engagé, fidèle à la condition des classes défavorisées. A l’heure où la  parole politique d’une gauche fictive s’est discréditée, où celle de la gauche véritable s’avère inaudible, la Brigade du rire, son dernier roman agréablement subversif alimente le courant critique de l’économie de marché qui ne décevra pas le citoyen lecteur.

    Sept copains, anciens lycéens champions de handball se réunissent vingt ans après dans une ville du Nord, scellant leur retrouvailles d’un projet d’actualité révolutionnaire: le kidnaping de Pierre Ramut éditorialiste vedette de la revue ultra conservatrice, valeurs françaises. Enfermé dans un bunker, l’auteur de la France debout sera contraint par le septuor masqué en nains de Blanche neige, à un travail de percement de six cent cornières  à l’heure, soixante heures par semaine moyennant  un salaire équivalent au SMIC réduit de 20 % et du montant des frais d’entretien et de nourriture. Version adoucie des Brigades rouges, la Brigade du rire met ainsi en pratique les principes même du nouveau contrat de travail que préconise ce chroniqueur mondain sur les antennes et les plateaux pour améliorer la compétitivité du pays et concurrencer les chinois. La  chimère apparaît ingénieuse et délectable, sauf pour la victime dépossédée, au fil de sa détention de sa fonction au journal par l’amant de sa femme!

    Fidèle à sa talentueuse aptitude pour les fresques éprouvée depuis les vivants et les morts ou vive la sociale, l’auteur dépeint entre les fils de cette rocambolesque vengeance symbolique, les accrocs du quotidien  professionnel ou sentimental de ce groupe d’indignés mus par une même soif de justice sociale. Kol imprimeur divorcé et dépressif, l’enfant loup garagiste, Dylan professeur d’Anglais qui partage la vie de deux sœurs jumelles, Rousseau professeur d’économie, Zac producteur de film, Hurel gérant d’entreprise et Victoria compagne du gardien de l’équipe tragiquement décédé expriment les déceptions accumulées depuis leur jeunesse militante. Mais, face la destruction des acquis du Conseil national de la résistance, à la confiscation croissante des profits par les entreprises multinationales, à la paupérisation du « peuple d’en bas »,  ces progressistes de la première heure s’octroient une revanche emblématique et drôle qui ressuscite leur goût du combat pour le droit à la liberté et au bonheur. A l’image de ses héros dans l’adversité, Gérard Mordillat à travers chaque nouveau livre, poursuit la promotion de son éclatant drapeau et de ses valeurs.

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  9. Le Bossu

    janvier 3, 2016 by Jacques Deruelle

     

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    Si Alexandre Dumas (les trois mousquetaires) ou Eugène Sue (les mystères de Paris)  ont donné au roman de cape et d’épée ses lettres de noblesse, le dix neuvième siècle n’a pas été avare d’autres chefs d’œuvre, dans un genre littéraire  tombé depuis en désuétude. Publié en 1857 au siècle d’or du Roman feuilleton, le Bossu de Paul Féval porte la griffe des grands ouvrages populaires à redécouvrir.

    « Quand il sera temps, si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi »: l’apostrophe du justicier au traître prédit des retrouvailles vengeresses,  fil directeur du roman. Dans les fossés du château de Caylus, un  chevalier de dix huit ans volage et intrépide Henri de Lagardère est venu se mesurer à la plus fine lame du royaume sous Louis quatorze, le très riche et galant Duc Philippe de Nevers. Sur place il évente un complot ourdi par le Prince Philippe de Gonzaque visant à assassiner le Duc et à capturer son enfant né d’un mariage secret avec la belle Aurore de Caylus. Une indéfectible amitié se noue alors dans l’urgence et Henri reçoit de Philippe le secret de la fameuse et imparable  botte de Nevers, une attaque composée, terminée d’un  coup d’estoc en plein front.  Vingt coupes jarrets à la rapière affûtée se jettent aussitôt sur nos deux héros qui résistent avec panache pendant près d’une heure dans l’attente de renforts. Las, le Duc de Nevers est lâchement poignardé dans le dos par l’ignominieux Gonzague qui pourra ainsi épouser sa veuve et s’adjuger l’immense fortune. Mais le trépidant Lagardère a pu s’enfuir,  le bébé au bras en jurant de punir chacun des protagonistes de la conspiration.

    le bossu

    Vingt ans après le drame oublié de Caylus, sous la Régence de Philippe d’Orléans, l’hôtel parisien du richissime Prince de Gonzaque est le siège de l’acquisition des assignats mis sur le marché par le financier John Law moyennant un alléchant taux d’escompte. Nobles et bourgeois s’arrachent ces célèbres billets à ordre revendus à prix d’or! Le dos porte bonheur d’un vieux bossu aussi  spirituel que retors  sert d’écritoire aux nombreux spéculateurs. Mais partout en Europe les tueurs de Caylus sont retrouvés occis d’un trou entre les yeux quand Henri  de Lagardère pourchassé par l’immonde Peyrolles, homme lige de Gonzague demeure insaisissable. Patience, machiavélique prince,  ton bourreau aux traits d’un malicieux tordu assoiffé de vengeance a su séduire ton propre entourage et pénétrer au cœur de ton intimité!  De péripéties en retournements de situations, l’histoire conduit  le lecteur vers un inexorable duel final au but supérieur, le triomphe de l’honneur et de la vérité.

    le bossu paul féval

    Dans le contexte de la grande Histoire marquée par le scandale des assignats sous la Régence, le bossu conjugue à la perfection tous les ingrédients de l’excellent roman d’aventures, des personnages principaux à la psychologie plus fouillée qu’à l’ordinaire, une galerie de seconds rôles intrigants et cocasses, des beautés princières en danger, des traquenards assortis de combats épiques ou de duels opposant bons et méchants dans la tradition des légendaires chevaliers. Des confrontations sentimentales subtiles aussi entre le père nourricier  et la veuve de Nevers virant à la jalousie dont la jeune Aurore est l’inextricable enjeu. Paul Féval ose l’impensé d’un amour naissant entre la jouvencelle et son fidèle mais secret éducateur. Son ouvrage reproduit avec panache le très classique et savoureux triomphe du bien et sa pureté sur le mal et sa bassesse!

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  10. Le club des incorrigibles optimistes

    novembre 28, 2015 by Jacques Deruelle

    le club affiche

    Le cinéma français a beaucoup portraituré le bistrot comme havre d’hospitalité et de convivialité et comme réceptacle fugace de toutes les  solitudes. De l’esprit commun au petit zinc d’Antoine Blondin et à l’élégante brasserie de Jean Paul Sartre, il est question aussi dans le premier roman de Jean- Michel Guenassia. A Denfert-Rochereau, une taverne heureuse tenue par un couple d’Auvergnats le Balto a ouvert dans son arrière salle un cercle d’échecs. Le club des incorrigibles optimistes rassemble des réfugiés politiques venus des pays de l’est  ou de Grèce. Werner, Igor, Leonid, Tomasz, Imré, Tibor ou Sasha ont fuit les grandes épurations staliniennes, abandonnant sur place femme et enfants. Ils ont trahi pour sauver leur peau et sacrifié une carrière prestigieuse pour se réfugier dans leur réduit parisien, et vivre d’un travail aléatoire, dans l’oubli de l’identité passée. C’est pourquoi le français est  ici la langue obligatoire. Mais au plus fort des controverses politiques entre les anti et les pro communistes la langue maternelle reprend le dessus. Kessel et Sartre fréquentent parfois cette arrière salle épongeant souvent de leur générosité les dettes de ces exilés. D’aucuns y voient un palliatif à la déviance d’un opulent statut social pour l’un, au manque de lucidité pour l’autre qui jamais ne condamna le système soviétique.

    Passionné de littérature au point de lire en marchant et pendant les cours, de baby foot, de rock and roll et de photographie, Michel Marini le  narrateur âgé de quatorze ans, fuit une famille tiraillée entre deux clans. Les Delaunay maternels sont conservateurs et riches. Les Marini paternels, progressistes et bûcheurs mais d’origine italienne. Un jour Michel prend pied au  Balto  et, adopté par ses aînés joueurs d’échecs, découvre peu à peu des vies d’exilés pleines de violence enfouie, de précarité matérielle et affective tandis qu’à la maison l’orage gronde entre ses parents au point que Franck son frère aîné s’engage en Algérie. Au cours des cinq années du récit, l’adolescent fera la découverte poignante de parcours identitaires meurtris mais attachés à leur dignité.

    Jean Michel Guenessia possède une manière vivante et personnelle de visiter l’ Histoire des années 1950-1960. Les purges staliniennes et ses conséquences, l’exil d’Est en Ouest,  la guerre d’Algérie et l’exode des pieds noirs s’incarnent à travers un chapelet de personnages expressifs, tel ancien pilote héroïque devenu chauffeur de taxi, tel autre chirurgien, aujourd’hui ambulancier, ou encore tel dignitaire déchu vivotant d’extra comme laborantin chez un photographe. Autant d’identités brisées par l’Histoire, une dérive des valeurs qui fondaient l’ engagement politique et professionnel, voire les compromissions qui ne se laveront que sur le lit de mort. Autant d’itinéraires qui suscitent l’empathie du lecteur tant l’auteur choisit l’explication plutôt que le jugement et la tolérance plutôt que la condamnation.  La sociologie hâtive de nos présupposés a coutume de sérier la vie d’un homme et de valoriser l’expérience. Le narrateur découvre pourtant que la douleur de la perte d’un être cher se répète à tous âges. Adolescent ou adulte, on ne revivra pareillement qu’en absorbant le manque.

     

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