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Le club des incorrigibles optimistes

28 novembre 2015 par Jacques Deruelle

le club affiche

Le cinéma français a beaucoup portraituré le bistrot comme havre d’hospitalité et de convivialité et comme réceptacle fugace de toutes les  solitudes. De l’esprit commun au petit zinc d’Antoine Blondin et à l’élégante brasserie de Jean Paul Sartre, il est question aussi dans le premier roman de Jean- Michel Guenassia. A Denfert-Rochereau, une taverne heureuse tenue par un couple d’Auvergnats le Balto a ouvert dans son arrière salle un cercle d’échecs. Le club des incorrigibles optimistes rassemble des réfugiés politiques venus des pays de l’est  ou de Grèce. Werner, Igor, Leonid, Tomasz, Imré, Tibor ou Sasha ont fuit les grandes épurations staliniennes, abandonnant sur place femme et enfants. Ils ont trahi pour sauver leur peau et sacrifié une carrière prestigieuse pour se réfugier dans leur réduit parisien, et vivre d’un travail aléatoire, dans l’oubli de l’identité passée. C’est pourquoi le français est  ici la langue obligatoire. Mais au plus fort des controverses politiques entre les anti et les pro communistes la langue maternelle reprend le dessus. Kessel et Sartre fréquentent parfois cette arrière salle épongeant souvent de leur générosité les dettes de ces exilés. D’aucuns y voient un palliatif à la déviance d’un opulent statut social pour l’un, au manque de lucidité pour l’autre qui jamais ne condamna le système soviétique.

Passionné de littérature au point de lire en marchant et pendant les cours, de baby foot, de rock and roll et de photographie, Michel Marini le  narrateur âgé de quatorze ans, fuit une famille tiraillée entre deux clans. Les Delaunay maternels sont conservateurs et riches. Les Marini paternels, progressistes et bûcheurs mais d’origine italienne. Un jour Michel prend pied au  Balto  et, adopté par ses aînés joueurs d’échecs, découvre peu à peu des vies d’exilés pleines de violence enfouie, de précarité matérielle et affective tandis qu’à la maison l’orage gronde entre ses parents au point que Franck son frère aîné s’engage en Algérie. Au cours des cinq années du récit, l’adolescent fera la découverte poignante de parcours identitaires meurtris mais attachés à leur dignité.

Jean Michel Guenessia possède une manière vivante et personnelle de visiter l’ Histoire des années 1950-1960. Les purges staliniennes et ses conséquences, l’exil d’Est en Ouest,  la guerre d’Algérie et l’exode des pieds noirs s’incarnent à travers un chapelet de personnages expressifs, tel ancien pilote héroïque devenu chauffeur de taxi, tel autre chirurgien, aujourd’hui ambulancier, ou encore tel dignitaire déchu vivotant d’extra comme laborantin chez un photographe. Autant d’identités brisées par l’Histoire, une dérive des valeurs qui fondaient l’ engagement politique et professionnel, voire les compromissions qui ne se laveront que sur le lit de mort. Autant d’itinéraires qui suscitent l’empathie du lecteur tant l’auteur choisit l’explication plutôt que le jugement et la tolérance plutôt que la condamnation.  La sociologie hâtive de nos présupposés a coutume de sérier la vie d’un homme et de valoriser l’expérience. Le narrateur découvre pourtant que la douleur de la perte d’un être cher se répète à tous âges. Adolescent ou adulte, on ne revivra pareillement qu’en absorbant le manque.

 

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