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La saison de l’ombre

5 janvier 2014 par Jacques Deruelle

la saison couverture
L’histoire enseignée dans les écoles de la République a souvent été outrageante pour les dominés, les exploités et les exclus de la «civilisation», ce mot valise qui masqua tant d’abominations. La colonisation des pays d’Afrique s’est accomplie au nom des droits et des devoirs des races supérieures sur les races inférieures (sic) selon les propos lénifiants de Jules Ferry repris par Léon Blum, reflétant la dialectique de l’idéologie dominante. Les vérités officielles s’écrivent à Paris selon une vision ethnocentrique qui trop souvent a fait fi des drames sociaux vécus dans les territoires administrés. L’esclavage prospéra dans les colonies jusqu’à la fin du dix neuvième siècle sous le primat toujours à l’œuvre des besoins économiques au nom desquels l’intolérable est très souvent toléré. Il fallut l’audace de quelques chercheurs pour exercer les rappels nécessaires à la conscience des pratiques à nos portes, dans nos ports marchands de Bordeaux, Nantes, La Rochelle ou de Dunkerque acteurs pleins et entiers de la traite négrière. La littérature donne accès à des voix que les dogmes négligent, rarement disposés à l’inventaire critique stigmatisant. La saison de l’ombre de Léonora Miano manifeste le chant douloureux des populations victimes de la perte d’un proche raflé au cœur des terres de l’Afrique équatoriale.

Le jour du grand incendie inexpliqué du village Mulungo, douze hommes se sont mystérieusement volatilisés: afin de ne pas corrompre la quiétude du clan, les femmes des disparus sont isolées dans une grande case. Les anciens se perdent en vains palabres incriminant l’énergie néfaste des proches, une forfaiture, la discorde s’installe entre partisans d’une ordalie purificatrice et ceux décidés à interroger la tribu Bwele voisine. Eyabe, une femme courageuse, partira seule à la recherche des disparus, portée par l’ardent besoin de résoudre l’énigme.

Après une première partie presque ethnographique qui souligne la primauté du mysticisme et des traditions dans un lieu replié sur lui-même, le lecteur découvre sous le regard «débordant de détresse» d’une héroïne confrontée au réel, la ville côtière peuplée d’hommes «aux pieds de poules», ces étrangers venus de l’autre côté des vastes eaux pour capturer des esclaves Mulungo avec l’aide des Bwele pourvoyeurs de prisonniers en échange d’objets nouveaux, d’armes cracheuses de feu, d’alcool écartant ainsi d’eux-mêmes la pression de ce commerce de l’humain! Léonora Miano brosse le récit envoûtant d’un monde en voie d’anéantissement, celui de l’Afrique ancestrale gangrenée par l’Occident. La femme survivante d’une tribu éteinte pleurera ses morts forte du «legs précieux des ancêtres: l’obligation d’inventer pour survivre». Une culture des profondeurs portée par une auteure qui témoigne dans ce sombre roman très stylisé, de la mémoire des victimes oubliées de l’histoire.  Un jalon contribuant à l’édification d’une conscience universelle des travers et de l’utopie du concept de développement fondé sur la marchandisation du monde.

la saison portrait

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