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La séparation

9 juillet 2013 par Jacques Deruelle

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Le romancier emprunte parfois la voie de l’étalage intimiste, et se déjoue des pièges du narcissisme par la distanciation. Ainsi, Hervé Bazin à travers sa trilogie, vipère au poing, la mort du petit cheval ou plus encore, le cri de la chouette a su donner valeur universaliste à la dramaturgie familiale, entourant son récit d’une ironie mordante, donnant corps aux grands mythes freudiens, vécus par lui sur le grill des relations domestiques dominées par la figure maternelle.

La séparation traduit le même besoin de témoigner de l’ineffable d’une trajectoire personnelle douloureuse, pour en expurger autrement que par la soupape de la dépression, le traumatisme. C’est un roman écrit sur le fil de la tension d’une expérience bouleversante, la chronique émouvante et sincère d’une rupture conjugale.

Une main qui se dérobe au théâtre donne l’alarme et Dan Franck interprète intuitif du langage du corps sait que «quelque chose de grave s’est passé» qui vaut cette soudaine mise hors jeu de l’intimité complice. «Je suis amoureuse d’un autre, mais il ne s’est rien passé!». L’épouse déroule ainsi aux yeux de son écrivain de mari jugé trop «absent» du couple, le jeu du chat et de la souris, et redevient le centre d’intérêt, suspendant le destin de la famille à ses seuls choix, à quelle moment consommer la tromperie, programmer son départ pour enfin balayer tout compromis sur la garde des deux enfants.

L’auteur oscille entre l’esprit chevaleresque de celui qui ne veut ni haïr ni rapetisser celle qu’il a tant aimé et le sens du réel qui commande de ne pas subir les caprices d’un conjoint immature. Les voyages de réconciliation échouent, les inflexions comportementales issues de l’introspection demeurent sans effets sur la trame conjugale. «Tu es la personne que j’aime le plus au monde mais je ne veux plus faire l’amour avec toi», cette confession paradoxale de l’épouse sonne le glas de la vie de couple tout en enrobant l’écrivain d’un zeste de reconnaissance.

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La séparation ne serait au fond qu’une déchirure narcissique guérie par le temps si elle ne bouleversait pas d’avantage, le fondement même de la filiation. Car la rupture consommée conduit à la perte de substance du statut paternel. Surtout si l’on décide, éclairé par sa propre expérience d’enfant de divorcé, de ne pas demander au fils aîné de choisir, «pour ne pas lui pourrir l’avenir». Il faut donc se résoudre à l’affaiblissement prévisible du lien paternel, à la rupture de l’ attachement fusionnel avec le fils aîné élevé au domicile de l’écrivain pendant 7 ans, tandis que le cadet encore nourrisson grandira dans les bras d’un autre, selon une navrante perspective, car les enfants au bout de cette histoire, subiront le sort des victimes du partage en fonction du primat matriarcal.

Dan Franck rend compte avec intégrité de l’escalade des événements et des tensions vécues par un couple en crise et s’efforce à la loyauté de celui qui veut comprendre son conjoint plutôt que de le méjuger. Mais l’apaisement n’est pas l’issue la plus probable d’une volonté de rupture unilatérale. La dépossession du sentiment paternel est un trop lourd tribut payé aux tergiversations égocentriques et désinvoltes d’un conjoint énamouré. La tendresse ne peut rien contre la passion ou l’exaltation et la construction d’une famille pèse de peu de poids, constate amer, l’auteur. Mais traduire cette expérience éprouvante en récit d’intériorité dédié à ses enfants ne peut que porter ses fruits sur le champ des justifications humaines, pour sa compréhension.

 

 

 

 

 

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