Un écosystème en danger en raison de la prolifération des pesticides ou des OGM, des projets contre nature d’aéroports ou de barrages, entre autres révèlent la fragilité des règles de protection de l’environnement face aux poids des lobbies agricoles et industriels, soutenus par les pouvoirs publics, au gré des besoins du développement productiviste. Dans le domaine du réchauffement climatique, de la protection des biotopes ou des espèces animales menacées, l’écologie est souvent éclipsée par les pratiques entrepreneuriales prédatrices des ressources de la planète. Désabusé par la tiédeur et les atermoiements du politique, le militant peut être tenté alors par l’activisme, c’est à dire par l’action directe censée frapper les esprits du citoyen, tel le démontage du Mac Donald’s de Millau, la pénétration dans les enceintes de centrales nucléaires ou le fauchage de parcelles de plantes génétiquement modifiées. Un tel engagement qui peut avoir une réelle légitimité, au regard des enjeux écologiques majeurs, n’en est pas moins considéré comme illégal, par les représentants de l’État, à un moment donné du droit et peut entraîner des peines privatives de liberté ou faire courir sur le terrain, bien des dangers aux protagonistes. C’est le combat du faible au fort parfois mené jusqu’à l’extrémité sacrificielle, immortalisée par des militants célèbres, Diane Fossey ou anonymes, Vital Michalon…
Dans le droit fil de cette réflexion, le règne du vivant dresse le portrait d’un activiste de la protection des océans, le capitaine Magnus Wallace qui, lassé des abus de la société marchande et du silence complice des gouvernants s’est engagé à contrecarrer la chasse aux grands mammifères marins, baleines, cachalots et le braconnage des requins dans les eaux internationales en éperonnant s’il le faut les navires de ces pêches illégales mais tolérées voire protégées comme un substitut à la misère dominante en ces archipels à la faune exceptionnelle et qui génèrent, à l’instar du commerce d’ailerons de requins vers le Japon, d’importants profits. Charismatique, ce chef récusant tout compromis s’entoure d’une escouade de volontaires de toutes nationalités et de tous horizons professionnels, biologistes, médecins, enseignants, mécaniciens, cuisiniers ainsi que d’un photographe, le narrateur du roman venu témoigner de la réalité des massacres et des actes en représailles de ce haut défenseur de la faune marine si décrié pourtant dans les cercles écologistes bien pensants. Si le harponnât à la chaloupe procédait du panache et laissait une chance au grand mammifère des profondeurs, les techniques modernes de pêche, repérage par satellite, canon jugé sur un monstre d’acier, harpon équipé de grenades explosives facilitent la tuerie à grande échelle, dans des eaux dépourvues de toute surveillance.
Alice Ferney explore en profondeur les modalités et les responsabilités du trafic lié à la capture des animaux marins; elle dépeint avec élégance la beauté de la faune marine pour mieux souligner l’abomination des mutilations et l’agonie lente de milliers d’espèces chassées au profit d’un mode égocentrique de consommation érigeant par exemple en élixir de longue vie des produits dérivés de ces gigantesques boucheries. Ce roman apologétique d’un mode d’action qui privilégie les intérêts à long terme, « intergénérationnels » interpelle en ces temps dominés par le laisser faire et le laisser aller et donne à l’auteure l’occasion d’une nouvelle expédition fervente et visionnaire au sein des valeurs de l’humanisme. Il fait écho aux sursauts des consciences les plus aiguës, celle récemment éteinte d’Alexandre Grothendieck remisant son génie face à l’indigence du combat écologique de ses contemporains.