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Un héros

20 octobre 2012 par Jacques Deruelle

Toute famille est le produit d’une classification, père, mère, fils, fille, synonyme d’identification à un jeu de rôles. Ces mots clés recouvrent des postures identitaires et symboliques, des repères idéologiques destinés à donner du sens, à la base de notre humanisation.

Or le pouvoir d’imposition parental ou ses carences peut s’écarter de l’idéal-type au point d’aboutir au sacrifice d’un fils aîné victime d’un véritable parcours de combattant dans sa quête existentielle. Il faut du courage à Félicité Herzog pour mettre à nu les ressorts intimes d’un naufrage familial masqué jusque là par une puissante mythologie, à travers son livre, «un héros», opposant à la force du mythe qui déréalise celle de la création littéraire qui redonne au récit sa forme humaine et décode le vécu et ses traumatismes.

De ce tableau familial acidulé émerge Marie Pierre de Cossé Brissac la figure maternelle, Directrice de l’Unesco agrégée de philosophie, qui s’est érigée en modèle d’intelligence et de culture en omettant de livrer à sa progéniture les clés d’un développement harmonieux, inapte à s’extirper de son milieu intellectualisant pour pénétrer le monde de l’enfance et de l’adolescence. Un exercice maternel de démultiplication avorté ici faute d’affichage d’un tendre dévouement éducatif délégué aux seules nurses et aux pensionnats religieux, une lacune qui se reproduit à chaque étage de la lignée.

Marie Pierre s’est émancipée d’une existence de riche châtelaine vouée aux mondanités en épousant Simon Nora (anagramme de Aron) militant communiste, futur conseiller des princes et concepteur avec Jacques Delors du projet de «nouvelle société» enterré sous Pompidou, pour tenter une expérience féministe et conjurer l’ antisémitisme pro allemand de son propre père, le Duc de Brissac.

En seconde noce, elle se marie avec Maurice Herzog, le Secrétaire d’État aux sports du Général de Gaulle, auréolé de sa victoire, une première sur l’Annapurna, un des plus haut sommet du monde, et renoue à travers cette alliance prestigieuse avec ses racines.

Mais sitôt la figure tutélaire du Général disparue, cette union entre une aristocrate surdouée et un aventurier parvenu au sommet d’une carrière politique puis d’homme d’affaires influent apparaît contre nature et se dissout.

Félicité la puînée n’a éprouvé dans son inventaire des repères familiaux que l’image d’un père rare et malsain, à la sexualité obsessionnelle, pour qui le corps de sa propre fille s’apparente aux objets sexués immortalisés par le photographe David Hamilton, un conquérant jusqu’au boutiste au mépris de la fraternité de cordée, boulimique de sa propre légende inscrite dans la chair boudinée de ses extrémités, devenu administrateur de sociétés et du CIO mais aussi trouble protecteur de jeunes filles au pair ou d’étudiantes en quête de séjours linguistiques.

L’auteure désavoue enfin l’admiration quasi filiale que Maurice Herzog développe pour son nouveau mentor, Jean Marie Le Pen croisé lors d’un dîner, une flétrissure qui rappelle l’indigne posture vichyssoise des grands parents pendant la seconde guerre mondiale, quand le curé et le maire du village montraient seuls l’exemple de la vertu en faisant traverser la ligne de démarcation proche aux réfugiés.

Comme «des gens très bien» d’Alexandre Jardin, auquel sur ce thème, il s’apparente, «un héros» a pour fonction aussi de purger de ses faux semblants l’historiographie familiale et permettre à la mémoire d’exercer sa résilience. Mais, hors ces quelques bribes fécondes, l’histoire de la collaboration par affinité idéologique entre l’aristocratie industrialo-financière, son personnel politique, tous détenteurs de bibliothèques garnies  d’ouvrages à croix gammées,  le pétainisme et le nazisme reste à écrire.

Toute mythologie révèle des comportements archaïques, notamment des infanticides comme chez les premiers Dieux Grecs dont Cronos, ingurgitant ses enfants pour demeurer sans rival. Chez les humains dépourvus d’empathie, l’infanticide peut résulter d’un processus inconscient d’abandon.

Laurent Herzog le fils aîné conçu pour perpétuer la suprématie aristocratique ne parviendra jamais à se hisser à la hauteur de ses modèles parentaux, sombrant très tôt dans le délire mystique, la confusion mentale  infligeant même des punitions à sa jeune sœur en portant atteinte à son intégrité physique.

Atteint d’une schizophrénie demeurée sans soins, il ira se jeter dans le vide du haut d’un pont échappant miraculeusement à la mort, dans une tentative qui évoque un double échec, celui d’une traversée issue du modèle maternel et celui d’une ascension tirée du modèle paternel. Alors, les tourments et les déchirements émotionnels de ce frère tour à tour aimé de sa sœur puis craint et fuit, victime du désintérêt de sa famille et en proie à ses fantômes, hôte des cliniques psychiatriques, fugueur, aventurier des sous-bois et vagabond conduit inexorablement cet être fragile vivant dans l’insécurité permanente, à la crise cardiaque, fatale à l’âge sacrificiel de trente quatre ans.

Pour la narratrice, héroïne de ce roman familial qui a su échapper aux risques de la dissociation mentale entre fascination juvénile pour les apparats et la magnificence de la châtellenie de Brissac, la profondeur des bois, le mystère des marais, et le pressentiment vital d’un monde ancien et dépassé collectionnant des trophées de chasses, pauvres emblèmes mortifères, trouver une place éminente dans le monde social en quo-dirigeant une filiale d’Areva, une fois frottée, à la fois forte de son patronyme et fragilisé par lui, aux réalités de l’entreprise néo-libérale américaine, anglaise et française, le triptyque de l’excellence commerciale,  pour fonder un foyer comprenant trois enfants, l’enjeu, contre le cycle accidenté de sa propre lignée  est de réussir d’avantage le défi de sa propre transmission que la tradition familiale  de glorification de soi.

 

 

 

 

 

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