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Les fous de Dieu

13 septembre 2013 par Jacques Deruelle

La lecture est parfois à l’esprit ce que l’alpinisme est au corps, une école de persévérance qui conduit à l’inédit, au majestueux, à la force et à la beauté à condition de sortir des sentiers battus, ceux trop souvent formatés de nos parcours quotidiens, et qui offre aux plus curieux, aux moins blasés, le plaisir d’une vraie et stimulante découverte. Tout livre, une manière de sommet atteint par son auteur, est aussi un défi à parcourir pour le lecteur.

Les fous de Dieu n’est peut-être pas le roman le plus accessible de Jean Pierre Chabrol, avec sa grammaire parcheminée du début du dix huitième siècle, enjolivée de parler cévenol, mais il a la puissance des reconstitutions les plus fidèles aux racines de l’histoire, l’écriture contemporaine induisant une anamorphose inapte à reproduire avec le même degré d’intensité, le dramatique vécu des arrières grands pères de nos arrières grands pères de confession protestante, huguenots, en Lozère.

Dissimuler pour la postérité dans l’épaisseur des murs d’une «clède» d’un mats cévenol, la chronique quotidienne des persécutions sous Louis quatorze, le jeune Samuel va s’y employer, instruit en écriture par la volonté d’un père digne Parfait en son martyre, exécuté sous ses yeux, la main droite tranchée et brûlé vif par sentence juridictionnelle réservée aux hérétiques.

Encouragés par Louvois, les dragons du Roi multiplient les exactions contre les villages et les foyers calvinistes contraignant leurs habitants à se parjurer. Les réfractaires sont violés, égorgés, jetés aux flammes, ou mutilés et percés de toutes parts, mais les saintes écritures offrent matière à la soumission comme à la rébellion. A «la joie d’être tourmenté par le seigneur» succède les appels à la vengeance: «si quelqu’un tue par l’épée, il faut qu’il soit tué par l’épée». Las du massacre des siens, le peuple des Cévennes devient massacreur à son tour, brûlant en représailles les églises papistes, châtrant les curés, lapidant la soldatesque, fracassant à la masse, la cervelle des tourmenteurs, châtiant à la fourche ou au chassepot.

les fous chabrol

A travers les annales sanglantes des persécutions protestantes en pays cévenol, Jean Pierre Chabrol fait le portrait universel des méfaits de l’intolérance. Ce tableau apocalyptique de la vie des maquis n’est traversé que de trop rares moments de grâce, ceux des amours de Samuel, le narrateur pour Finette, petite bergère de son enfance. Mais la religion et ses prophètes conduisent aussi bien les amours que le fil de l’épée. De tels drapeaux sont porteurs d’aliénation mortelle.

Les persécutions cesseront sous le règne de Louis Seize et la Révolution consacrera le liberté de culte. Lors d’une rénovation d’immeuble en 1980, à Barbezieux, bourg rural du confins de la Saintonge huguenote, rue du puits du prêche, (un signe) furent retrouvés les registres de la paroisse protestante du dix septième et dix huitième siècle, murés dans une armoire, pour des temps plus propices à la liberté de conscience, en vertu d’une pratique qui n’a donc rien de légendaire.

Les fous de Dieu décrivent le mécanisme de survie d’une communauté opprimée ici en Gard et en Lozère comme à la Rochelle, en Tarn, en hautes Alpes ou en Ardèche, et reconstituent la mémoire des réprouvés. Jean Pierre Chabrol souligne la fonction funeste des étendards religieux censés propager des valeurs de vie et de tolérance en confectionnant des censeurs, des soldats et des bourreaux. Enfin, le rôle joué par le « Roi soleil » comme assassin de son peuple, si peu souligné dans les écoles de la République, justifie cette mise en lumière violente.

 

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