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Après la guerre

2 novembre 2014 par Jacques Deruelle

après la guerre couv

L’ Histoire ne parvient pas toujours à reconstruire la vérité des faits, soit que les données à recueillir  manquent soit que la volonté des chercheurs s’est épuisée pour s’orienter vers d’autres fronts. Le roman policier est alors un excellent substitut au questionnement historique pour révéler à sa manière le dessous des cartes dans les périodes troubles de dérèglement politique, d’occupation ou de conflits. Lui qui, sous couvert d’une enquête, rétablit ce qui se dissimule dans les arcanes de l’Histoire, de larges pans des mœurs d’une époque, à la manière élégante et soignée d’un Daeninckx, s’inscrit pleinement dans le champ littéraire.

« Après la guerre » couche Bordeaux dans la mythologie des cités emblématiques de la série noire, comme Marseille ou Lyon, avec ses quartiers interlopes, son Bacalan portuaire, ses bars et hôtels borgnes et sa faune policière héritée de la collaboration. Son auteur Hervé Le Corre serpente entre deux périodes sombres, l’occupation allemande et la guerre d’Algérie pour dérouler le récit d’une vengeance dans le sang d’un rescapé des rafles de juifs et des camps de la mort, Jean Delbos victime d’un faux protecteur, le Commissaire de Police Albert Darlac, un flic impuni qui tient depuis des lustres, la ville et sa truanderie par la corruption  dont la spoliation des biens des raflés qui fut le fleuron des ses activités de 1942 à 1945.

Sauvé de la rafle par un ami de la famille, le fil de Jean,  Daniel, aujourd’hui mécano de vingt et un ans a reçu sa feuille de route pour l’Algérie en guerre. Passionné de cinéma et de western, il sort de chaque séance comme grandi, porteur de « tous les courages » prêt à aller voir le conflit de plus près, lui qui contemple le paysage urbain ou les passantes à travers le rectangle d’un mètre pliant, une autre manière de voir la réalité, distanciée par son cadre, au risque avant tout de se heurter à sa conscience, confronté à l’imposition des assassinats dans le djebel en sa qualité de tireur d’élite.

Hervé Le Corre ravive à l’encre noire et brillante la mémoire de la « belle endormie » qui en 1945 s’offrit avec le gaulliste Chaban Delmas une nouvelle virginité propre à effacer l’ardoise de sa période pétainiste. Car adeptes de la capitulation et de la collaboration avec l’Allemagne nazie, Marquet, le Maire de la capitale mondiale du vin et ses élites  permirent à la corporation des policiers anticommunistes et germanophiles de prospérer à la manière de Darlac,  représentatif du  flic immonde, particulièrement zélé dans sa mission de répression des minorités et prêt à s’allier à la pègre pour obtenir des résultats.  Quand la justice fait défaut, comment punir le mal absolu autrement que par la vengeance; Plus de dix ans après les faits, le lecteur suit pas à pas la victime à la gare St Jean, sur le Quai des Chartrons, le cours du chapeau rouge ou rue Furtado, dans sa traque du bourreau pour que s’exerce la loi du talion!

Autour d’Alger la blanche, Daniel traverse l’épreuve militaire des appelés, tiraillé entre le verbe haut de ses partisans, « les tarés qui se régalent » et la volonté de ses adversaires animés d’idéaux anticolonialistes, opposés aux représailles inclinant au massacre de civils, à mesure que la guerre avance. En s’appuyant sur des réseaux clandestins d’où émerge la figure fraternelle de Robert Autin, évocation transparente du mathématicien Maurice Audin torturé à mort par les parachutistes d’Aussaresses, la désertion alors s’organise…

Polar bordelais intensément dramatique et parfois lugubre, après la guerre retrace les trajectoires tragiques, tourmentées ou outrageantes d’un père, son fils et d’un policier dans le courant meurtrier de l’histoire des années quarante et cinquante. Au verso du décors irénique de ses cartes postales, la vieille ville charrie de mystérieux acteurs aux comportements funestes.

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